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Tribunal de Tiaret: l’inquisition

Posté par soslibertes le 12 avril 2009

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Dessin Hichem (Le Hic, Le Soir d’Algérie)


1- Le Figaro (21/05/2008)

Procès pour « délit de chrétienté » en Algérie

MAGHREB

Interpellée en possession de bibles et d’évangiles, Habiba Kouider est accusée de « pratiquer un culte non musulman, sans autorisation ». Notre correspondant a suivi son procès hier.

De notre envoyé spécial à Tiaret : Arezki AÏT-LARBI

LE TRIBUNAL correctionnel de Tiaret a abrité, hier, un procès surréaliste. L’accusée, Habiba Kouider, une chrétienne de 37 ans, est éducatrice dans une crèche. Elle comparaît pour détention de livres religieux, un délit passible de prison depuis l’adoption, en février 2006, de la loi qui réglemente « les cultes non musulmans ». Le 29 mars 2008, alors qu’elle se rendait en bus d’Oran, où elle fréquente l’école biblique, à Tiaret, son lieu de résidence, elle est interceptée par des gendarmes. Dans son sac, ils découvrent les pièces à conviction: des bibles et des évangiles. Ils l’arrêtent et la transfèrent à la police, qui la place en garde à vue. Plusieurs officiers se relaient alors pour un interrogatoire humiliant de la «mécréante ». Le lendemain, elle est présentée au procureur, qui lui propose un curieux marché: « Tu réintègres l’islam, et je classe le dossier ; si tu persistes dans le péché, tu subiras les foudres de la justice ! » Réservée, presque timide, Habiba Kouider a peur, mais elle refuse de renier sa foi.

Trois ans de prison requis

Hier, face au juge qui la presse de questions ironiques, elle répond avec dignité. « Quelle est ta religion ? » demande le magistrat. « Je suis chrétienne. Je me suis convertie en 2004 à l’église d’Oran », répond-elle d’une voix presque inaudible. Avec un sourire méprisant, le juge reprend : « Les curés t’ont fait boire leur eau bénite qui mène au Paradis. » Elle ne répond pas.
En remarquant la présence de journalistes dans la salle, le juge les interpelle : « Avez-vous une autorisation pour prendre des notes? » Me Khelloudja Khalfoun, qui défend l’inculpée, intervient : « L’audience est publique, les journalistes ont le droit d’être là. » Lorsque les robes noires de Tiaret, sollicitées pour « défendre la chrétienne », se sont défaussées, les dignitaires de l’Église protestante se sont tournés vers cette avocate du barreau de Tizi-Ouzou, rompue aux procès sensibles. Le juge perd son calme, menace de « prendre des mesures », avant de confisquer les carnets des journalistes !
Sous le regard de la presse, les magistrats perdent de leur arrogance. Sans conviction, le procureur rappelle que « l’islam est religion d’État » avant de requérir trois ans de prison ferme. Me Khalfoun plaide « la liberté de conscience garantie par la Constitution » et demande la relaxe de sa cliente. Un résumé de deux visions antagonistes qui s’affrontent dans la société algérienne. Le verdict sera rendu le 27 mai. Le même jour, devant le même tribunal, six autres chrétiens comparaîtront pour « distribution de tracts visant à ébranler la foi des musulmans ».
Depuis janvier 2008, les procès pour « délit de chrétienté » se sont multipliés dans l’Ouest algérien, notamment à Oran, Mascara et Bel-Abbès. Comme les militants d’opposition de la dictature du parti unique, les néoconvertis sont contraints de vivre leur foi dans la clandestinité. Sans rire, le ministre algérien des Affaires religieuses se veut rassurant : « La communauté chrétienne jouit de tous les droits ; mais nous luttons contre les sectes ! »

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2 – El Watan (21/05/2008)

Convertie il y a quatre ans au christianisme

Habiba jugée hier à Tiaret

Le procureur a requis la peine de trois ans de prison ferme à l’encontre de K. Habiba pour pratique « sans autorisation d’un culte non musulman ». Le ministère des Affaires religieuses s’est constitué « partie civile » dans cette affaire. Le verdict est attendu pour mardi prochain. 6 membres de la même église seront jugés le même jour à Tiaret.

Tiaret. De notre envoyé spécial : Mohand Aziri

C’est le chemin de croix qui commence pour Habiba. Elle est de l’ouest du pays, de Tiaret, elle a la foi chrétienne et elle risque trois ans de prison ferme. Habiba K., la trentaine bien entamée, convertie il y a quatre ans au christianisme, a été jugée hier en correctionnelle par le tribunal de Tiaret. La jeune femme, ancienne employée d’une crèche à Oran, est accusée par le ministère public de pratiquer un « culte non musulman sans autorisation ». Une première dans les annales judiciaires. La situation est d’autant plus inédite, car il s’agit du premier procès où la pratique libre de la foi chrétienne est vertement remise en cause. Jusque-là, l’appareil judiciaire s’est borné à juger les affaires liées au prosélytisme. Une dizaine de procès a été intentée dans ce sens à travers de nombreuses villes du pays, Oran, Mascara, Sidi Bel Abbès, Béjaïa,… et plusieurs membres de l’Eglise protestante ont été condamnés à des peines de prison avec sursis, assorties d’amendes lourdes allant jusqu’à 500 000 da. Face à son juge, Habiba n’avait pas hier le cœur au reniement, ni aux dérobades. Zen, la voix presque éteinte, de nature, elle assumera au prétoire, sans détour, avoir choisi Al Massih, le Christ. Une vingtaine de jours auparavant, elle tenait tête au procureur de la République et refusa d’abandonner sous la contrainte sa nouvelle foi. « C’est soit le tribunal, soit la mosquée », lui aurait signifié le procureur. Au juge qui la bombarde de questions, un ton moqueur, un ton amène, elle raconte sans s’encombrer de détails et dans un silence religieux sa passion, ses premiers pas dans l’église et son arrestation fin mars par les gendarmes de Tiaret. « A l’église, on t’a fait passer l’examen d’admission céleste ? », lui demande le juge. Silence dans la salle. « On t’a fait boire l’eau qui te mènera droit au paradis », revient encore à la charge le magistrat après que Habiba ait fait mine de ne pas comprendre la question. Elle répond par un « oui ». Un « oui » qui doit signifier qu’elle a été baptisée. Le juge lui demande de nouveau pourquoi elle transportait dans ses bagages une quantité d’ouvrages religieux, des évangiles notamment. «On n’en a cure que vous deveniez chrétienne ou bouddhiste, c’est entre vous et votre Créateur, dites-nous que faisiez-vous avec tous ces livres. »

Le délit imaginaire

« Je revenais par bus d’Oran, répond-elle, où j’étudie à l’Ecole d’études bibliques. A l’entrée de la ville, les gendarmes qui dressaient un barrage sur la route sont montés dans le véhicule et sont venus directement vers moi et ont fouillé mes bagages. J’avais des livres sur moi. Mes livres à moi. » Le procureur, silencieux depuis l’ouverture de la séance, l’interrompt brusquement : « Que faisiez-vous avec une douzaine d’exemplaires du même livre ? Ce n’est quand même pas pour votre usage personnel ? Vous les distribuez à votre entourage, n’est-ce pas ? Vous prêchez avec la parole chrétienne ? », s’adresse-t-il à la frêle silhouette de Habiba. Le délit imaginaire. Il n’en fallait pas plus pour enflammer l’avocate, Me Khalfoun, du barreau de Tizi Ouzou. Venue expressément à Tiaret pour assurer la défense de Habiba, après que certains avocats de la ville aient refusé de plaider dans cette affaire, Me Khalfoun, connue surtout après les retentissants procès des émeutiers du « printemps noir » de Kabylie et des « gendarmes assassins », bat en brèche les accusations du ministère public qui, dit-elle, ne reposent sur aucun fondement juridique. « On ne juge pas sur les intentions, mais sur les actes », plaide-t-elle. L’infraction est à ses yeux « imaginaire » et n’est étayée par aucun texte juridique. « Dois-je rappeler à ce propos l’un des sacro-saints principes du droit pénal, à savoir qu’il ne peut y avoir accusation ou condamnation sans texte réglementaire », s’adresse-t-elle au tribunal. L’article 11 de l’ordonnance de février 2006 fixant les règles et conditions d’exercice des cultes autres que musulman, explique l’avocate, ne peut être appliqué au cas de Habiba. « Lorsque ma cliente a été arrêtée, elle n’était pas en train de prêcher. Elle ne distribuait pas des bibles. Elle était assise seule dans ce bus qui l’a ramenée chez elle », déclare Me Khalfoun. L’article 11 en question traite uniquement des cas flagrants d’« incitation, d’utilisation de moyens de séduction » afin de convertir des «musulmans à une autre religion » dans les lieux publics et aussi la fabrication et la distribution de documents imprimés ou audiovisuels visant à « ébranler la foi des musulmans ». Des infractions passibles d’une peine de 2 à 5 ans de prison et à une amende allant de 500 000 à 1 million DA. Dans l’ordonnance précitée, aucune « trace » d’une éventuelle mise en accusation d’individus pour « pratique sans autorisation d’un culte autre que musulman ». Autant dire, une « invention » du parquet. Pis, s’interroge Me Khalfoun, « quelle est cette autorité, morale ou administrative, habilitée à délivrer une autorisation pour pratiquer telle ou telle religion ? » Tout en réclamant l’acquittement de sa cliente, l’avocate de la défense en appelle au respect de la Constitution qui garantit à toute personne le droit à la liberté de la pensée, de la conscience et de la religion. L’avocat de la partie civile (la direction des affaires religieuses de la wilaya de Tiaret dont est originaire l’actuel ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, Abdallah Ghlamallah, Ndlr) se contentera de déclarer au tribunal que les tentations d’évangélisation représentent une « menace pour la sécurité nationale ». Rappelons que récemment, le ministre des Affaires religieuses a nié toute « persécution » à l’encontre des convertis au christianisme et a déclaré, suite notamment aux pressions de la communauté internationale, que l’Etat algérien ciblait uniquement les «sectes ». Mardi prochain, six autres membres de la communauté chrétienne de Tiaret seront jugés par le même tribunal pour prosélytisme. Le verdict du « procès Habiba », qui ne manquera certainement pas de faire des remous, sera connu le jour même.

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3 – El Watan (22/05/2008)

Me Khelloudja Khalfoun (avocate de Habiba Kouider) :

« Le procureur a agi selon des considérations privées, religieuses et sentimentales »

El Watan: Kouider Habiba est poursuivie en justice pour « pratique d’un culte non musulman sans autorisation ». Est-ce que la loi exige une autorisation pour pratiquer une religion autre que l’Islam ?

Me Khalfoun: Il n’y a aucun texte de loi qui conditionne la pratique d’un culte non musulman à une autorisation. Il n’y en a pas. Ce qui s’est passé hier devant le tribunal de Tiaret relève de l’hérésie juridique, parce que c’est une violation flagrante d’un très grand principe de droit qui dit qu’il n’y a pas de peine sans un texte de loi. Vous pouvez chercher dans le code pénal et dans l’ordonnance de 2006, vous ne trouverez aucune trace de ce texte de loi.

Donc si le tribunal de Tiaret condamne quand même Habiba pour ce chef d’accusation imaginaire, ce serait vraiment un précédent très grave. Le fait d’avoir en sa possession des livres religieux est-ce un délit ? Y a-t-il des textes de loi interdisant ce fait ?

Non ! Il n’y a aucune loi qui interdit aux gens d’avoir en leur possession des livres religieux. Il y a une disposition de l’ordonnance de 2006 qui interdit d’avoir en nombre des fascicules et des livres et les distribuer en vue d’ébranler la foi des musulmans. Pour Habiba, on lui reproche de pratiquer un culte non musulman sans autorisation. Je vous le dis et je le répète, il n’y a aucun texte qui condamne cela. Au contraire, c’est un acte licite qui est garanti et protégé par la Constitution. La Constitution parle bien de la liberté de culte et la considère comme sacrée. La Constitution est le sommet de l’organigramme juridique algérien, donc émettre des jugements contraires à ce principe est une grave violation de la loi.

Habiba Kouider a-t-elle des chances de ne pas être condamnée mardi prochain ?

Je ne peux pas vous le dire. C’est selon le juge. Mais selon le droit, elle ne devrait pas être condamnée parce qu’il n’y a pas de dispositions de loi. Si elle est condamnée pour un acte licite, ce serait très grave. La loi ne condamne que pour des actes illicites. Pour qu’on puisse condamner quelqu’un devant un tribunal, il faut que l’acte qu’il commet soit cité dans le code pénal et qu’il soit condamnable par le code pénal.

Vous ne croyez pas qu’il y a eu une mal-interprétation de l’ordonnance de février 2006 ?

Ce n’est pas seulement une mal-interprétation. Le magistrat ou le procureur de la République n’a pas agi en fonction de la loi et uniquement de la loi, mais il a agi selon des considérations privées, religieuses, sentimentales et autres… que la loi lui interdit. En principe, c’est la loi de la République qui devrait être appliquée. Quand on est devant un tribunal, on n’est redevable que de la loi. On ne devrait pas être aveuglé par aucune sensibilité, qu’elle soit religieuse, politique ou autre.

Propos recueillis par Madjid Makedhi

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4- Le Figaro (28/05/2008)

La justice algérienne persécute encore les chrétiens

MAGHREB

Si le tribunal a demandé un complément d’enquête pour le procès d’une Algérienne accusée de prosélytisme, il a requis deux ans de prison contre six jeunes convertis.

De notre envoyé spécial à Tiaret : Arezki AÏT-LARBI

SOUS la pression de la presse francophone et des militants des droits de l’homme, mobilisés en faveur de Habiba Kouider, la justice a reculé. Malgré les trois ans de prison ferme requis le 20 mai par le procureur contre la jeune chrétienne, arrêtée fin mars en possession de bibles, le tribunal a ordonné « un complément d’information ». Cette décision mitigée permet à la justice de gagner du temps, faute d’une condamnation qui risquait de la discréditer. Hier, dans la salle d’audience correctionnelle du tribunal de Tiaret pleine à craquer, le climat était détendu.
Mais l’inquisition continue. Six Algériens convertis au christianisme ont comparu pour « distribution de tracts visant à ébranler la foi des musulmans ». Faute d’église, ils s’étaient réunis au domicile de l’un d’entre eux, pour prier clandestinement. À leur sortie, des policiers en civil les ont arrêtés avant de les présenter au parquet.
Face au juge, qui les interroge sans conviction, ils répondent sans détour. Rachid, locataire de l’appartement, est considéré par les autorités comme le prédicateur, le « cerveau » du groupe. Cet informaticien de 32 ans, marié et père d’un enfant, est un « récidiviste », déjà condamné pour « prosélytisme » à trois ans de prison par le tribunal d’Oran, et à deux ans par celui de Tissemsilt. Au juge qui lui demande « étiez-vous en train de prêcher ? », il répond : « nous sommes un groupe d’amis, nous débattions de notre foi chrétienne. »
K. Mohammed avait transporté Rachid dans sa voiture le jour de son interpellation. Lorsque le juge interroge cet opticien de 53 ans sur sa religion, il manque de s’étrangler en entendant la réponse : «C’est personnel, mais je suis musulman !» A cette même question, Abdelkader, soudeur de 32 ans, qui reconnaît avoir débattu de religion chez Rachid, répond sans complexe: «chrétienne!» Tout comme ses trois autres « complices», Chabane, pâtissier de 26 ans, Abdelhak, informaticien de 28ans, et Djalil, un vétérinaire quadragénaire.

“Délinquants religieux”

Lundi, le parquet général de Tiaret a ainsi justifié les poursuites : « Les inculpés s’adonnaient à des rites chrétiens et étaient en possession d’évangiles et de CD expliquant les préceptes de cette religion. » Hier, en présence d’une quinzaine de journalistes algériens et étrangers, la machine à condamner à tour de bras s’est grippée. Le procureur a tenté de jouer l’apaisement : « La liberté de culte est garantie. L’appartement où ils se réunissent est un lieu de culte clandestin. Quiconque veut pratiquer un autre culte que l’islam doit obtenir une autorisation officielle pour l’ouverture d’une église.» Et de requérir deux ans de prison ferme et 500 000 dinars (environ 5 000 euros). Lorsque Me Khlafoun, la courageuse avocate de la défense prend la parole, la salle l’écoute dans un silence… religieux. Au-delà du procès d’intention, les charges contre ces « délinquants religieux » sont bien maigres : un agenda, un carnet et un livre religieux. « Quels tracts ont-ils distribués ? Quels sont les musulmans dont ils auraient “ ébranlé la foi”? » s’interroge-t-elle. Textes de loi à l’appui, l’avocate soutient que « si l’autorisation concerne les lieux de culte, quelle autorité est habilitée à trancher le choix individuel d’un culte ? » Puis elle conclut : « Nous avons un pays en commun, mais chacun est libre de sa religion. Trop de sang a coulé dans ce pays. Tirons les leçons du passé ! » Dans la salle, fusent des applaudissements, vite étouffés par le service d’ordre. Verdict le 3 juin.

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